Ou la redécouverte de ressources naturelles
L’amendement, appelé aussi « fumure », est une technique de fertilisation des sols à partir de ressources naturelles (fumiers ou minéraux), employée depuis des siècles et qui a tendance à être redécouverte, notamment en permaculture. L’occasion de revenir sur son histoire…
La fumure permet de nourrir les sols par l’apport d’éléments chimiques et minéraux (phosphate, nitrite, azote) nécessaires à la croissance des céréales et des plantes potagères. Les bienfaits de l’amendement (qui désigne aussi bien la technique que la substance employée, tel que le fumier) sur la fertilité des sols agricoles sont connus depuis l’Antiquité. Du moins, les premières preuves d’utilisation de fumier retrouvées par les archéologues ou signalées dans les sources datent-elles de cette période. Dans leur article « Techniques d’amendement agraire et témoins matériels », Nicolas Poirier et Laure Nuninger citent un extrait de l’Odyssée qui atteste de cette pratique « en Grèce ancienne (…) dès le premier millénaire avant notre ère ».
Si les traces de fumure sont moins fréquentes au Haut Moyen Âge, la pratique se dévoile à nouveau dans les textes par la suite. Au XIVe siècle, Jehan de Brie, un berger devenu de manière exceptionnelle un homme de lettres, écrit un traité sur l’art d’être berger et explique ainsi les profits que les terres tireront d’une visite des troupeaux :
« Le fient des oeilles est moult prouffitable à fumer et amender les terres arables, et pour ce, les sages laboureurs, depuis le printemps jusques en la fin d’autompne, que il ne fait pas trop froit, ne nuict font tenir et gésir leurs oeilles aux champs pour engresser les terres1. »
Les bêtes (ici, les brebis et les moutons) sont installées dans des parcs, afin d’éviter qu’elles ne ravagent les cultures, pour que les terres des paysans bénéficient d’un apport en fumier (fient) direct … du printemps à l’automne car, après cette saison, il fait trop froid pour que les bêtes restent en extérieur – et pas parce que le fumier ne serait plus utile ou propice aux terres, bien au contraire.
Les traités d’agriculture, qui se multiplient durant la période moderne (XVIIe-XIXe siècles), laissent une large place aux considérations sur les différents fumiers, leurs avantages, la manière et le moment de les épandre, comme on peut le lire dans le chapitre IX du livre de Jean de la Quintinie Instruction pour les jardins fruitiers et potagers, daté de 1690.
En 1800, c’est même tout un traité qui est consacré aux engrais. Écrit par Fabrice-Guillaume Maurice, le Traité des Engrais concerne tout type de substances servant à l’amendement : compost, déjections animales, os, algues, boues et d’autres encore qui sont considérées comme autant de déchets de nos jours et dont les paysans, jusqu’au début du XXe siècle, font leurs alliés pour nourrir les terres qui les nourrissent à leur tour.
Dans son livre L’Invention des déchets urbains : France 1790-1970, l’historienne Sabine Barles explique très bien comment toutes ces matières et ces matériaux ont été relégués au rang de « déchets ». Ses recherches ont montré que cette « invention des déchets » est à mettre en lien avec la découverte du pétrole et des innovations que cette substance fossile a engendrées, comme le plastique (qui marque l’avènement du jetable) ou les engrais chimiques (dérivés des produits pétrolifères).
À la fin de la très mal-nommée « Révolution verte » des années 1960-1990, les pratiques intensives en agriculture se développent. Elles emploient quantité de pesticides, dont l’essentiel des molécules provient de l’industrie de l’armement, qui tuent le sol. En conséquence, elles doivent également employer quantité d’engrais chimiques (appelés « intrants »).
L’usage de ces pesticides et de ces engrais chimiques, couplé à l’utilisation de tracteurs, renforcent notre dépendance au pétrole. Le film-documentaire de Coline Serreau Solutions locales pour un désordre global ou encore la conférence de Pablo Servigne Un avenir sans pétrole ? présentent parfaitement cette dépendance au pétrole de l’agro-industrie et les risques qui en découlent, si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet.
Une voie de sortie de cette dépendance aux engrais chimiques existe pourtant … l’amendement, employé en agriculture biologique et qui apparaîtrait presque comme une (re-)découverte.
« Les amendements organiques sont des fertilisants formés à partir de la masse organique des déchets et des déjections animales. Outil privilégié de la méthode biologique, ils nourrissent et réparent les sols abîmés par l’agriculture intensive et la pollution des milieux tout en favorisant la croissance naturelle des plantes2. »
C’est peut-être en commençant ainsi, en redécouvrant l’usage et les bienfaits de l’amendement (qui n’a, certes, jamais totalement disparu des potagers), que l’on redeviendra les « sages laboureurs » évoqués par Jean de Brie.
1 Jehan de BRIE, Le bon Berger…, p. 35-36.
2 Article dans Géo, « L’amendement organique, le fertilisant de l’agriculture bio », 31/10/2017.
Références
Nicolas POIRIER et Laure NUNINGER, « Techniques d’amendement agraire et témoins matériels. Pour une approche archéologique des espaces agraires anciens », Histoire & Sociétés Rurales, vol. 38, n°2 (2012), p. 11-50.
Jehan de BRIE, Le bon Berger ou le vray régime et gouvernement des bergers et bergères, édité par I. Liseux, Paris, 1879.
Jean de la QUINTINIE, Instruction pour les jardins fruitiers et potagers, chez Barbin, Paris, 1690.
Fabrice-Guillaume MAURICE, Traité des Engrais, Impr. de la Bibliothèque britannique, Genève, 1800.
Laure CAILLOCE, « Quand le productivisme nuit à l’agriculture », CNRS Journal, 27/02/2018 https://lejournal.cnrs.fr/articles/quand-le-productivisme-nuit-a-lagriculture
Coline SERREAU, Solutions locales pour un désordre global, documentaire de 2010.
Pablo SERVIGNE, Un avenir sans pétrole ?, conférence de 2018 ; disponible sur YouTube.
Article Géo https://www.geo.fr/environnement/l-amendement-organique-le-fertilisant-de-l-agriculture-bio-169818