Puits et norias au travers des siècles
Dans un article précédent, nous avons commencé à considérer une question fondamentale à la vie sous toutes ses formes, celle de l’accès à l’eau. Si les réseaux d’irrigation et les aqueducs sont bien souvent des trésors d’ingénierie, certains systèmes permettant de s’approvisionner en eau restent plus modestes ou viennent en complément à ces réseaux d’irrigation.
Puiser dans les ressources du sous-sol : une pratique (très) ancienne
Les nappes phréatiques (l’eau verte dont il était fait mention en introduction de l’article précédent) sont des réserves d’eau courante contenues dans les sous-sols (on parle d’aquifère). Un « simple » trou dans le sol (puits, forage) peut servir à capter les eaux de la nappe. Le nom même de « phréatique », créé au XIXe siècle, est dérivé du grec phréar signifiant « puits » et évoque le lien entre la disponibilité de l’eau à faible profondeur et le moyen de la capter.
Les premiers puits creusés par la main humaine ne sont que des excavations, sans structures pour en retenir les parois. Avec le temps, elles ont été comblées par des éboulements et sont difficiles à identifier. Ces excavations ont progressivement été mieux aménagées et des vestiges archéologiques de ces aménagement existent, qui sont plus anciens encore que ceux des réseaux d’irrigation. Ainsi, un puits aux parois maçonnées en pierre a été retrouvé sur le site sous-marin d’Altit-Yam (Israël) qui date de la fin du IXe millénaire av. n. è.
Le plus ancien puits en bois découvert par l’archéologie à ce jour se trouve en République Tchèque et est daté de 5 256-5 255 avant n. è. (Le Monde). Des poteaux en bois ont été placés aux quatre coins du trou et des planches glissées sur les parois du puits en forme de carré pour les maintenir.
Pendant longtemps dans certaines régions françaises, et notamment en Languedoc, les puits ont été le seul moyen d’approvisionner un foyer en eau. En ville, au Moyen Âge, aux puits publics entretenus par le gouvernement urbain, s’ajoutent plusieurs puits privés aménagés dans les caves ou les cours des maisons. À Montpellier, certains de ces puits très anciens étaient toujours visibles récemment ou le sont encore, comme le puits Saint Roch de la rue de la Loge (fig. 1), ou celui à l’angle de la rue du Temple.
Des puits qui communiquent entre eux
Plusieurs puits peuvent être installés sur le même aquifère. Ainsi, le sous-sol de Montpellier est percé de tout un réseau de galeries souterraines, ce qui explique que certains puits communiquent entre eux. Léon Coste, dans son étude des fontaines de Montpellier datée de 1886, rapporte cette anecdote :
« Le boulanger dans la boutique duquel se trouve le puits des Esquilles m’a conté (en présence de M. Dubouchet) que son chat y étant tombé, il le croyait naturellement perdu. Grande fut sa surprise lorsque, trois jours après, on le lui rapporta sain et sauf : l’on l’avait retiré d’un puits de l’évêché que le pauvre animal avait pu gagner en suivant une galerie souterraine1. »
Cette communication des puits, si elle peut permettre de retrouver son chat que l’on craignait noyé, n’est pas sans effets négatifs : contaminer un puits reviendrait à contaminer tout le réseau, ou capter trop d’eau dans son puits pourrait en priver d’autres. Dans tous les cas, le principe même de captation des eaux de la nappe, qui ne se renouvellent que très lentement, peut entraîner un asséchement du puits sur le long terme.
Quand le puits se tarit
Le puits change alors de destination : on y jette les détritus dont on ne sait quoi faire. Le puits d’Altit-Yam, lorsque les eaux de la nappe ont été épuisées et que le puits ne donnait plus que de l’eau salée (sur les littoraux, l’eau de la mer remplace progressivement dans l’aquifère l’eau douce qui a été puisée), a servi à enfouir des ossements d’animaux, du bois, etc. De même, des fouilles archéologiques menées sur un puits de Montpellier dans le quartier de la faculté de Droit ont montré qu’il a servi de dépotoir. Les puits sont très souvent des zones de grand intérêt pour l’archéologie puisque les déchets qu’ils conservent permettent d’étudier les habitudes des populations anciennes (nutrition, artisanat, chauffage, etc.) Ainsi, des siècles après avoir servi à approvisionner en eau les populations, le puits sert encore à nous approvisionner… mais en connaissances !
Les métiers du puits
Le principe du puits est donc très ancien, et ce sont les puits en pierre (tel que le puits d’Aumelas, fig. 2), plus durables en raison de leur maçonnerie, qui ont été privilégiés. Le puits est soit laissé ouvert et peut servir alors de citerne pour recueillir les eaux de pluie ou, au contraire, couvert pour ne conserver que l’eau plus pure de la nappe phréatique. Au cours de l’histoire, le creusement et l’entretien d’un puits sont devenus une activité professionnelle à part entière : celle du puisatier, assisté de plusieurs compagnons d’œuvre. Le rôle du sourcier – celui qui, par son pendule ou sa baguette parviendrait à trouver la nappe phréatique et le meilleur endroit où creuser pour trouver de l’eau – est attesté depuis l’Antiquité. Des études récentes (notamment les travaux d’Yves Rocard) remettent en cause ce savoir-faire ancestral, toujours exercé de nos jours, dont les résultats ne seraient à attribuer qu’à un heureux hasard.
Le puits et l’irrigation : norias ou puits à roue
Des aménagements complètent souvent le puits pour faciliter l’extraction de l’eau : un balancier avec contrepoids ou une corde sur poulie permettent de plonger un sceau dans le fond du puits et de le relever. Mais des systèmes plus ingénieux peuvent être associés au puits. Des roues (à aubes ou à augets) ont été mises au point par les inventeurs grecs aux IIIe-IIe siècle av. n.è. qui permettent d’élever l’eau. Elles portent plus généralement le nom arabe de norias, ou de pouzaranque ou puiserande dans le Midi. Ces roues sont placées sur un cours d’eau et tournent grâce au mouvement de l’eau. Les norias servent notamment à déverser l’eau qu’elles captent dans un système de canaux d’irrigation.
Mais, dans les endroits sans bassin ou cours d’eau, elles permettent surtout de tirer l’eau des puits. Autrement dit, l’excavation permettant d’accéder à l’eau souterraine (le puits) est ici couplée à un système d’élévation et d’épanchement de l’eau (la roue). Actionné originellement par un bœuf, un cheval ou un âne auquel on cache les yeux, le puits à roue est très fréquent dans les pays méditerranéens et attesté à Montpellier dès le Moyen Âge (on peut se référer par exemple aux fouilles archéologiques d’Odile Maufras de l’ancien hôpital du Saint Esprit). Ce type d’installation s’est toutefois nettement développé durant la période moderne.
S’il se rencontre encore au XIXe et XXe siècle (fig. 3), la technologie contemporaine a marqué l’abandon progressif du puits à roue, remplacé par de simples forages associés à leur compresseur. La multiplication de ces forages privés n’est, toutefois, pas sans conséquence : ils puisent trop dans la ressource phréatique qui peine à se reformer et contribuent parfois à la disparition de l’eau verte.
L’histoire du puits n’est pas finie car, souvent dans les sources médiévales, le puits peut se confondre avec un autre type de structure, la fontaine, elle-même associée parfois à un système de conduite de l’eau. Et c’est aux fontaines que sera consacré le prochain article de cette histoire au fil de l’eau.
1 Léon COSTE, « Les anciennes fontaines de Montpellier », Société Languedocienne de Géographie, neuvième année, tome IX (1886), Montpellier, p. 353-383 (ici p. 355 à la note).
Références
« The Pre-Pottery Neolithic Site of Atlit-Yam », sur le site d’Israel Antiquities Authority
« Le plus ancien puits en bois du monde découvert en République tchèque », Le Monde, 4 février 2020.
Yves ROCARD, La Science et les sourciers ; baguettes, pendules, biomagnétisme, Paris: Dunod 1989.
Léon COSTE, « Les anciennes fontaines de Montpellier », Société Languedocienne de Géographie, neuvième année, tome IX (1886), Montpellier, p. 353-383.
Vianney FOREST, Olivier GINOUVEZ et Laurent FABRE, « Les fouilles de la Faculté de Droit à Montpellier. Urbanisme et artisanat de la peau dans une agglomération languedocienne du bas Moyen Âge », Archéologie du Midi médiéval, tome 22 (2004), p. 45-76.
Odile MAUFRAS, «Le puits en milieu urbain», Archéopages (en ligne), n°40 (04-07/2014).